La Digitalisation, nouvel outil de la Relation Client ?
[Interview] Alain Bouveret est le Directeur Général d’Eloquant, spécialiste de la Relation Client qui a pour vocation de faciliter la relation entre les entreprises et leurs clients. Il est convaincu de l’importance de la Digitalisation dans la Relation Client.
Comment la digitalisation transforme la Relation Client des entreprises ?
Les entreprises sont passées d’un marketing transactionnel à un marketing relationnel. Avant, le marketing c’était les 4P, avec une offre, qu’on met sur marché. Maintenant, on passe à un marketing relationnel, où la relation se base sur l’émotion, l’engagement, et non plus juste de la transaction.
Aussi, les consommateurs s’attachent plutôt aux avis des clients qu’au discours de la marque. Quand la relation client se digitalise, les clients deviennent des données. Donc la façon dont l’entreprise gère ces données influe sur la façon dont elle va gérer son marketing et sa relation client.
Désormais, ce qui va être plus important, ce n’est pas la relation en « one-to-one », mais en « one-to-many ». Il s’agit de toucher des communautés de clients. Les produits et/ou services sont des outils de relation.
J’ajouterai que, maintenant on cherche à tout mesurer, à mesurer chaque étape de la relation avec un client. Or, ce qui est important, c’est aussi les collaborateurs. Avant, expliquer le produit était le rôle de la marque, notamment celui du vendeur. Maintenant le client a déjà connaissance des informations produits avant de s’adresser au vendeur. Il a déjà fait un tour du marché et connait même mieux le produit que les équipes de vente. Donc, les entreprises doivent tenir compte de ce phénomène dans leur relation avec le client. Les équipes qui sont en contact avec lui doivent être dans une approche complètement différente. Elles doivent apprendre à développer de la confiance avec le client.
Quels sont les nouveaux enjeux liés à cette digitalisation pour les entreprises?
Je dirais qu’il y a 4 enjeux majeurs :
- La vitesse : réaction, correction, alerting, livraison. Le client ne supporte plus d’attendre 48h pour avoir une réponse. Il tolère 6 heures pour un mail, et 1 heure pour un message sur les réseaux sociaux.
- La visibilité : elle est augmentée, aussi bien sur les côtés positifs que négatifs. Ainsi, dès que l’entreprise rencontre un problème avec ses clients, les répercussions peuvent être dramatiques… Avant, les grandes entreprises avaient un budget publicitaire important et bénéficiaient ainsi d’une visibilité maximale. Aujourd’hui, même les petites boites peuvent être extrêmement visibles, et notamment travailler leur image.
- L’image : comme je viens de l’évoquer, la digitalisation renforce l’image. La digitalisation amplifie les bons côtés comme les mauvais.
- L’agilité : il est important de donner de l’autonomie aux équipes pour qu’elles réagissent efficacement aux demandes des clients. Elles doivent avoir des autonomies décisives. Plusieurs clés à cela :
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- Un management de confiance et d’autonomie
- Un marketing qui s’appuie sur les réseaux et sur les clients parce que, grâce aux avis clients, il est possible de déléguer une partie du marketing de l’entreprise à ses clients. Il s’agit de social selling, des clients que l’on va faire témoigner, qui partagent des articles de la marque.
- Des partenariats : parce que l’entreprise ne peut pas être la meilleure partout. Elle a besoin de gens qui vont porter l’image de sa marque, de la pousser un peu plus loin. Par exemple, Eloquant s’appuie sur de la retranscription faite par Google, Uber s’appuie sur Waze…
Quelles solutions innovantes existent pour améliorer la relation client ?
Le premier point c’est que les clients ne sont plus mes clients, ce sont des clients. On essaie toujours de fidéliser, mais on ne peut pas dire que les clients sont verrouillés et parfaitement fidèles. Avant, les entreprises pouvaient plus ou moins le faire, mais maintenant c’est fini, on est dans une nouvelle approche : mes clients doivent devenir mes conseillers en s’exprimant sur mes produits.
Le deuxième point c’est la notion de libre-service. Les clients veulent se débrouiller par eux-mêmes. Par exemple, quand Apple a lancé l’iPhone, il n’y avait aucun mode d’emploi, les clients se débrouillent avec, et ça a très bien marché. Il est important de laisser aux clients la capacité à se débrouiller sans que la marque interfère. Cependant, quand ils en ont besoin, il faut impérativement que la marque réponde présente. C’est en ça que la relation client doit être efficace.
Le troisième point, c’est que les clients ne veulent plus des produits mais des expériences. Par exemple, la DS3 propose 3 millions de combinaisons possibles. Ils ne veulent pas le même produit que le voisin, mais celui que qu’ils se sont préparés pour eux. Avec la personnalisation, le client vit une vraie expérience et s’approprie le produit.
L’intégration de médias sociaux est-elle nécessaire dans les logiques de relation client ?
L’importance des médias sociaux est très variable d’une entreprise à l’autre. Si on parle de BtoC, de tourisme, alors oui, mais toujours à condition de bien le faire. Sur d’autres métiers, cela dépend du contexte et surtout de la volonté à mettre en place une vraie stratégie de médias sociaux.
Selon moi, l’intégration de média sociaux n’est pas du tout nécessaire si l’entreprise n’a pas de stratégie dessus, c’est même un danger. Plutôt que d’ouvrir un canal parce qu’il faut l’ouvrir, il vaut mieux ne pas l’ouvrir. Si l’entreprise ne maîtrise pas, elle n’ouvre pas de nouveau canal, sinon elle risque : des flots de critiques non gérés, des questions de clients sans réponses qui engendreront énervement et mécontentement.
Faut-il craindre que la digitalisation efface l’humain, que la relation client devienne impersonnelle ?
Aujourd’hui, malgré la grande variété d’outils, il devient de plus en plus compliqué d’avoir une relation avec une entreprise. Il faut passer par tout un tas de canaux différents. Or, le digital n’est qu’un outil. Si par nature, l’entreprise entretient une relation chaleureuse avec ses clients, cela va être amplifié, et inversement. La digitalisation renforce la relation si elle est déjà bonne, et l’affaiblit si elle est déjà mauvaise.
Pour qu’une relation soit véritablement améliorée si l’entreprise n’entretient naturellement pas de bonne relation avec ses clients, cela implique de changer fondamentalement sa relation avec ses clients. Ce n’est pas juste une affaire de digital.
Aujourd’hui, comment concilier le meilleur du digital et de l’humain ?
Pour concilier le meilleur du digital et de l’humain, il faut laisser chacun faire ce qu’il fait le mieux.
En ce qui concerne le digital, il s’agit d’aller vite, de traiter les données, de multiplier les actions. En termes d’outil, on pense au bon CRM, à la maitrise des réseaux sociaux, au lancement d’enquêtes au bon moment. Par exemple, donner les horaires du magasin au client. En ce qui concerne l’humain, il s’agit tout simplement de la relation humaine. Par exemple, accueillir le client en magasin.
Ce qu’il faut absolument éviter, c’est d’inverser leurs rôles.
Quel autre conseil aux entreprises qui se lancent dans leur transformation digitale ?
Je leur dirais de ne pas penser qu’ils font du digital, mais de garder à l’esprit qu’elles servent leurs clients. Il ne faut pas penser aux moyens mais à la fin. La question qu’il faut se poser est : qu’est-ce que je peux faire de plus et mieux pour mes clients ?
Par exemple, le cinéma fait excellente utilisation du digital, qui permet de prendre ses places tout le temps, à tout moment.
Pour l’avenir, certains experts parlent de VRM ?
Les outils VRM (Vendor Relationship Management) ont pour objectif de permettre aux individus de reprendre le contrôle de leur identité numérique et de leurs relations avec leurs fournisseurs de services en ligne. Les consommateurs possèderaient leur propre centre de données personnelles qu’ils partageraient ou pas, et de manière sélective avec les marques. Ils pourraient alors formuler des demandes de service ou de produits sur des dispositifs qui rechercheraient les meilleurs offres pour eux (web sémantique), et pourraient aller jusqu’à lancer un appel d’offre.
C’est une façon de voir les choses. Le client a son personnal shopper, qui le connaît et qui choisit lui-même, qui lui prend des rendez-vous, etc.
Néanmoins à un moment donné le client va utiliser le produit, et là il a une relation directe avec la marque. Une fois que qu’il a le bien, la relation est faite directement avec la marque. Par exemple « cette montre est comme je l’attendais, elle est même encore mieux ». Mais si elle tombe en panne, la marque doit réagir, et à ce moment il est encore question de relation. Donc à un moment donné, la relation se fait fatalement avec la marque, aussi bien par le produit que par la façon de traiter les réclamations.
La phase de recherche d’un produit est finalement la plus ennuyeuse en termes de relation, donc elle peut être traitée par le VRM. Mais ensuite, le client recherche la relation avec la marque. Un VRM ne change pas fondamentalement le fait que le client est un utilisateur et qui a envie de ressentir une émotion.
Il est impossible de déshumaniser et désémotionner la relation client. Le client veut vivre une expérience. Plus le produit est impliquant (produit/service qui reflète la personnalité du client), plus le client veut vivre une expérience avec la marque.
Pour terminer, un autre point important à garder en tête : le changement du rapport à la propriété. Il y a désormais de nombreux services de location. Par exemple louer une robe de soirée, des bijoux… Finalement ce n’est plus la propriété que le client recherche, mais bien l’expérience. C’est cet élément qui peut changer la relation client. Et c’est très profond.
Le digital change seulement les moyens. Nous sommes vraiment passés de la transaction à la relation, mais ces deux dimensions restent reliées.